🏺 Les préjugés sont-ils grecs ?
Texte de JP Gandelin – Photo : Gandelin Passions
Introduction : Une culture antique toujours présente
Dans nos précédentes newsletters, nous avons déjà évoqué l’importance de la culture grecque dans notre civilisation actuelle. Mais saviez-vous que certains préjugés très répandus aujourd’hui trouvent leur origine dans la Grèce antique ?
Le petit ouvrage « Histoire des préjugés » de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit (Collection Proche) nous le montre brillamment.
🧭 1. Le mot « barbare » : un rejet de l’Autre venu d’ailleurs
À l’origine, les Grecs utilisaient le terme « barbare » pour désigner toute personne qui ne parlait pas grec. Ce mot a rapidement évolué pour exclure toute culture étrangère aux mœurs helléniques.
➤ Une vision défensive et identitaire :
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Les Grecs se protégeaient des peuples perçus comme envahissants.
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L’invasion perse de 480–479 av. J.-C. a profondément marqué les esprits : Athènes fut dévastée, ses temples détruits.
➤ Une représentation durable du « sauvage » :
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Les barbares étaient vus comme irrespectueux de la religion et des traditions grecques.
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La religion structurait la société : toute atteinte renforçait les peurs.
🌍 2. Climat, alimentation et préjugés scientifiques
Les premiers savants grecs ont aussi théorisé des différences culturelles et comportementales.
Hippocrate (460 – 370 av. J.-C.) :
Le climat influe sur le tempérament : plus les saisons sont contrastées, plus les peuples sont violents.
Aristote (384 – 322 av. J.-C.) :
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Les peuples du nord : courageux mais stupides
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Ceux du sud : fainéants et fourbes
D’autres biais « scientifiques » :
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Régimes alimentaires comme facteur d’opposition :
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Grecs : vin + céréales = mesure, raffinement
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Barbares : lait + viande = brutalité, excès
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🛡️ 3. Beauté grecque vs. monstruosité étrangère
➤ Scènes choquantes :
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Hérodote rapporte que les Scythes buvaient dans les crânes de leurs ennemis.
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Cette image sanglante a été attribuée à divers peuples : Gaulois, Bulgares, Lombards…
➤ La norme grecque :
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Beauté fondée sur l’harmonie du corps, le respect de l’homme comme création divine.
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Tatouages, pilosité excessive et mutilations : considérés comme des formes de barbarie.
🏛️ 4. Des Grecs aux Romains, et au-delà…
➤ La transmission des stéréotypes :
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Les Romains, bien qu’envahisseurs, ont adopté les représentations grecques du barbare.
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Mais certains textes latins (Tacite) commencent à nuancer :
Les barbares du Nord seraient plus vertueux, sobres et efficaces.
➤ La récupération au fil des siècles :
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Luthériens au XVIe siècle : valorisation des Germains face à une Rome jugée décadente.
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Nazisme : reprise de l’imaginaire germanique antique pour appuyer l’idéologie aryenne.
Même aujourd’hui, on utilise le terme « barbarie » pour qualifier l’inhumain… souvent lié à l’Autre, l’étranger.
📚 Référence : Bruno Dumézil, p. 23 du livre « Histoire des préjugés »
🔥 5. Le préjugé sur les roux : entre superstition et rejet
Les cheveux roux ont longtemps été associés à des caractéristiques négatives.
➤ Dans l’Antiquité et au Moyen Âge :
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Mythes grecs et égyptiens désignent les roux comme :
cruels, sournois, menteurs, maudits
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Le dieu égyptien Seth, aux cheveux roux, recevait des sacrifices humains roux.
➤ Préjugés tenaces :
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À l’époque moderne, on accuse encore les roux de sentir mauvais.
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Ce stéréotype perdure malgré sa faiblesse scientifique.
📚 Référence : Michel Pastoureau, p. 51 – « Les roux sont faux et sentent mauvais »
👩⚕️ 6. L’hystérie féminine : un vieux mythe médical
➤ Origines antiques :
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Hippocrate lie les troubles féminins à l’utérus errant.
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Platon, Aristote, Gallien reprennent l’idée des médecins égyptiens :
L’utérus serait responsable de fatigue, douleurs, déséquilibres…
➤ Jusqu’au XIXe siècle :
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Ce discours médical aboutit à l’invention du terme « hystérie » pour désigner toute instabilité féminine.
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Il faudra attendre Freud pour déplacer cette vision vers une explication psychique.
➤ Et aujourd’hui ?
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Le préjugé persiste :
Roman Polanski a qualifié le mouvement #MeToo d’« hystérie collective ».
📚 Référence : Yannick Ripa, p. 69 – « Les femmes sont hystériques »
📖 Conclusion : Une mémoire longue, mais pas inéluctable
Ce petit livre regorge de faits historiques qui nous aident à comprendre l’origine et la persistance des préjugés.
Les idées reçues ne sont pas toujours évidentes à déconstruire, mais les connaître, c’est déjà mieux les dépasser.
🔎 Pour aller plus loin :
📚 Livre cité : Histoire des préjugés – Guérout & Mauduit
🎨 Photo : Gandelin Passions
✍️ Texte : JP Gandelin
