Origine et diffusion des parfums
I L’ORIGINE
L’origine des parfums a été dépendante de la présence de végétaux aromatiques. Il semble que l’Orient, l’Arabie, l’Asie, l’Indonésie, la Chine, Ceylan soient des territoires qui ont connu très tôt l’usage de certains parfums comme la cannelle (4000 ans av J.C.), la citronnelle parce que leur climat les prédisposait à une abondance de plantes aromatiques. Le Moyen Orient, l’Asie Mineure, la Grèce possédaient également des plantes très parfumées car leur climat aride était propice à la concentration des substances odoriférantes dans les plantes.
Si nous nous attachons à la Crète, notre pays de prédilection, Pline l’Ancien (23-79 ap. J.C.) mentionnait dans son histoire naturelle 22 sortes d’huiles parfumées dont la plupart étaient extraites des plantes des montagnes crétoises comme le cyprès, le lentisque, la marjolaine, le genêt, l’iris, le nard, la rose, le myrte, le laurier, …
Les fouilles archéologiques ont permis de trouver de nombreux pilons, brûle-parfum, vases dans les ruines des villages antiques. Ainsi on faisait brûler des graines de genévriers, de coriandre, d’anis, de fenouil, de cumin, d’ache pour parfumer l’intérieur des maisons ou des temples en fonction des cérémonies, mais on les ajoutait aussi à l’huile d’olive dans un but culinaire, dans le vin pour l’aromatiser ou l’améliorer, dans les onguents religieux ou médicinaux.
La production d’huile aromatisée en Crète était réalisée dans ou à proximité des palais comme celui de Knossos. Cette affirmation a été prouvée par la traduction des tablettes d’argile qui servaient à l’époque soit 1250 ans av. J.C. de support aux écritures. On découvre également que les plantes étaient fournies par les habitants voisins du palais, que les préparations étaient comptabilisées et envoyées à différents clients, que la Crète commerçait avec l’île de Chypre qui elle aussi était un client et un centre de production important. Certaines plantes comme les cistes étaient très recherchées et le sont toujours aujourd’hui pour leurs exsudations, sortes de résines odorantes auxquelles on attribue des vertus médicales et surnaturelles. Cachées dans les vêtements du bébé, elles éloignent le mauvais œil, le mal ou le malin. Le métropolite de Crète en envoyait au patriarche de Constantinople pour encenser les icônes des saints. Les fumigations étaient non seulement un moyen de purifier l’air mais aussi d’intercession avec les dieux au moment du culte, de les vénérer comme aujourd’hui d’ailleurs en les comblant de louanges. Et ces rites ont un prolongement dans notre vie courante. Ne dit-on pas aujourd’hui qu’il a été encensé par son chef !
Les Crétois et d’autres peuples avaient compris la technique naissante de l’alambic puisqu’en 1860 av. J.C. ils mettaient les plantes dans de l’eau de pluie qu’ils faisaient chauffer dans des chaudrons couverts munis d’un tuyau en leur sommet pour évacuer la vapeur et la condenser dans une bassine latérale. Le mot alambic vient de l’arabe al ‘inbïq, lui-même emprunté au grec tardif ambix (= vase). L’alambic fut d’abord utilisé pour fabriquer des eaux florales, des huiles essentielles ou des médicaments, avant de permettre la production d’eaux-de-vie par distillation de jus de fruits fermentés. Le type le plus ancien qui nous soit parvenu date de 3500 av. J.-C. et provient du site mésopotamien de Tepe Gawra au Nord de l’Irak. L’huile essentielle apparaissait en surface du distillat et était récupérée avec un linge que l’on essorait au-dessus d’un récipient. C’est ainsi que l’huile de laurier était confectionnée car elle avait acquis le pouvoir de donner aux femmes toute leur vie durant une chevelure noire. Il est à noter que l’alambic en cuivre est réalisé au VIII° après J.C. par des médecins arabes.
La Crète est réputée aujourd’hui pour les vertus médicinales de ses plantes mais elle se distingue aussi dans la préparation de parfums utilisant certaines caractéristiques de quelques-unes pour servir d’excipient ou de fixateur. Parmi elles la sauge sclarée très répandue en Crète (tonique, antiseptique, digestive, emménagogue) permet la fixation des autres parfums grâce aux tanins qu’elle contient.
Au XIII° siècle av. J.C. l’île de Chypre était renommée pour sa fabrication de parfums, pour ses activités d’importation de végétaux aromatiques et de transformation de résines odoriférantes, pour ses artisans cuiseurs d’onguents. Les procédés d’extraction des parfums tels la macération ou l’enfleurage à l’aide de corps gras étaient courants si bien que les Chypriotes étaient des spécialistes des cosmétiques, de la parure et du maquillage. Certains se sont expatriés dans les pays voisins et l’on diffusa alors l’histoire de Chypre, pays de la déesse Aphrodite qui répandait l’amour et des parfums si envoûtants que le parfum lui-même finira par acquérir un statut de divinité féminine et la vision d’un moyen de rendre la femme attirante, irrésistible. D’ailleurs Homère a décrit comment Aphrodite égarait la raison des dieux tels Zeus, Arès, Apollon, Hermès.
Alors que l’Orient et l’Asie étaient en avance sur la fabrication et l’usage de parfums ce n’est qu’au cours du règne d’Alexandre le Grand puis de l’empire Romain que l’Occident découvrira les plantes aromatiques issues des contrées lointaines. Mais d’autres causes ont retardé l’arrivée des parfums en Occident comme l’opposition des philosophes à l’utilisation de produits odorants et la naissance du christianisme lui-même emprunt de stoïcisme où la valeur de l’être humain ne se mesurait pas du tout à l’émission d’odeurs artificielles mais plutôt sur les valeurs morales. Par ailleurs on associait ces parfums aux rites païens contre lesquels le christianisme a lutté pendant plusieurs siècles pour assoir ses nouveaux fondements. Mais des contradictions ouvrirent la voie tel l’usage de la myrrhe. La myrrhe deviendra divine car son odeur, l’odeur de sainteté, sera celle du Christ incarné. L’onction amère symbolise la mortification de la chair et son passage dans une vie nouvelle.
II LA DIFFUSION
Peu à peu la femme devient la personne la plus sensible aux parfums, aux fards, aux onguents. Sa peau semble retenir plus longtemps les parfums qui concourent à son attirance. Au VII° siècle le flaconnage évolue, se multiplie et devient plus recherché dans sa conception. Le parfum est utilisé dans un premier temps par les familles riches. Bernard Grillet en 1975 livre une étude réalisée sur des fragments humains extraits de tombeaux qui permirent l’analyse des fards utilisés dans l’Antiquité grecque. Il a montré que les femmes usaient pour leurs joues et leurs lèvres de céruse, de la teinture du fucus, de l’orcanète, de l’ocre rouge, du réalgar, de la poudre de henné, de sucs de mûres et d’acanthe. Elles se noircissaient les yeux à la poudre d’antimoine (kohl), ou au noir de fumée. Elles imprégnaient leurs cheveux d’huile de laurier et de cèdre.
Mais l’usage du parfum rencontre une certaine résistance. Pour Socrate le parfum est inutile car il crée une illusion et un égarement condamnable. Pour lui seul le parfum de la vertu compte. Diogène dit un jour à un homme : « Prends garde que la bonne odeur de ta tête ne fasse ressortir la mauvaise odeur de ta vie ! » Toutefois dans les comédies alexandrines on rappelle qu’il n’est pas de repas galant sans colliers, sans couronnes de fleurs, sans huiles parfumées et que les femmes entretenues et les plaisirs d’amour se paient de fleurs, de rubans, de flacons ruineux. Pline l’Ancien mentionne néanmoins que le parfum a au moins le mérite d’attirer sur le passage d’une femme même ceux qui sont occupés de tout autre chose ! Le coût des substances fut aussi un frein et Il faudra attendre quelque temps que les prix deviennent plus abordables pour réduire les résistances à la diffusion.
Tout s’accélère avec la conquête de l’Orient jusqu’en Inde par Alexandre le Grand. Déjà des voyageurs qui avaient effectué une incursion en Mésopotamie ou en Arabie avaient rapporté des parfums comme le baccar des princes de Lydie, le styrax safrané d’Asie Mineure, le baume de Judée,