Il existait une forme de violence spécifique, la vendetta, où les conflits se résolvaient par les armes et qui a défrayé la chronique il y a quelques décennies.
La vendetta est principalement associée aux querelles de familles. Elle désigne un enchaînement de conflits qui peuvent déboucher sur un meurtre lequel engendre la vengeance et un nouveau meurtre. Les cas de vendetta observés concernaient des familles installées dans des villages de montagne notamment sur les pentes du Psiloritis situé au centre de l’île entre les villes d’Héraklion, Rethymnon, Sfakia. Parmi ces villages, certains sont cités plus fréquemment comme Livadia, Anogia, Zononia,… Des périodes ont été plus propices à ce type de violence comme la fin de l’occupation ottomane au début du XX°siècle, la libération de l’occupation allemande en 1944 puis pendant la guerre civile grecque de 1945 à 1950. Les guerres s’achevant laissent la place aux préoccupations intérieures et sociales, chacun disposant de panoplies d’armes tout en affrontant d’énormes difficultés dans la vie quotidienne. Il est à remarquer aussi que les habitants de la région de Sfakia sont demeurés insoumis aux différents envahisseurs car particulièrement rebelles et aguerris aux combats ce qui leur procure un certain prestige et une liberté de comportement. Aujourd’hui encore subsistent un nombre de délits de port d’armes supérieur à celui de la Grèce continentale. Il suffit de se promener sur les petites routes de montagne et de constater l’état des panneaux de signalisation situés aux entrées de villages pour avoir un aperçu de l’armement local. Mais relativisons, les armes font partie de la tradition et la vie locale a évolué vers un certain art de vivre aujourd’hui car la mondialisation est passée par là.
Si l’on veut expliquer la vendetta, il faut revenir sur les modes de vie des crétois. Les communautés villageoises des montagnes sont des micro-sociétés fermées. Les relations sociales étaient souvent réduites aux rencontres avec des parents ou des amis très proches qui formaient ensemble un clan. La société était parfaitement patriarcale où tout était régi par des codes, des coutumes, des sentiments affectifs tels que l’amour, la fierté, l’honneur, la haine et tout cela entremêlé. Les membres du clan ressentent celui-ci comme une protection, une sécurité qui permet la cohésion et la défense du groupe. C’était d’autant plus nécessaire que la vie en Crète était jusque dans les années 70 paysanne régie par les coutumes, les traditions, la religion, les aléas climatiques, la dureté du travail agricole. Les échanges avec les grandes villes furent limités jusque dans les années 6O car les réseaux routiers n’étaient pas développés et l’acquisition de véhicules réservée à certaines familles. Les causes de jalousies, d’affronts étaient nombreuses telle l’occupation des terres communautaires que les autres pouvaient remettre en question dès lors que l’attributaire ne pouvait plus les exploiter correctement. La famille se sentait alors accusée provoquant des échanges sociaux houleux et des réactions intempestives exagérées. D’autres causes plus insupportables justifiaient une vengeance nécessaire comme le vol, l’adultère, l’argent, la politique, l’insulte publique.
La vendetta est une affaire exclusivement d’homme et de personnes mâles consanguines. Souvent ce sont les femmes du clan qui désignent l’individu mâle qui devra venger la famille puis la victime qui peut être un autre individu que le meurtrier. Le clan maintiendra la pression psychologique sur le justicier pour son passage à l’acte. La prison, punition institutionnelle, ne remplace pas la vendetta car celle-ci est un droit primitif non pris en charge par les institutions parce qu’elle est alimentée par la haine des autres qui parfois est portée par plusieurs générations. Ainsi le prisonnier libéré de sa peine est immédiatement abattu à sa sortie de prison. Un meurtre ne peut être lavé que par un autre meurtre, sinon le mort ira en enfer ou sera privé de repos éternel (Jacques Lacarrière en préambule du livre, Le Crétois de Pandélis Prévélakis précisait : « il faut que l’âme du mort s’abreuve de celui du meurtrier, faute de quoi elle tournera éternellement dans les lieux où elle vécut. Ainsi dans l’Antiquité, les âmes dont les corps étaient restés sans sépulture tournaient-elles inlassablement sur les bords du Styx sans pouvoir pénétrer le royaume des Morts.» La vengeance exécutée permet également au meurtrier revanchard de reconquérir sa place dans la communauté. La vendetta est difficile à endiguer car elle n’est évoquée qu’à postériori une fois l’acte revanchard commis. C’est la loi du silence, un comportement finalement choisi par les familles afin d’éviter une réaction immédiate, une sorte de déclaration de guerre qui mettrait le clan opposé en alerte défensive. Ce fut le cas d’un homme qui assassine un cafetier parce qu’il avait tué dans le passé son père. Mais ce père avait lui-même tué le frère du cafetier ! Un autre exemple, celui d’un homme qui rentre dans un café proche du Tribunal et qui apprend par des discussions de comptoir que le meurtrier de son frère 25 ans auparavant comparaît devant ce Tribunal au même moment pour une plainte concernant des dégâts commis sur une propriété agricole. Il se rend alors à l’audience et exécute l’accusé !
La vendetta est un problème pour les membres masculins du clan qui abrite le premier meurtrier. Ils savent que tôt ou tard un justicier surviendra et tuera un homme choisi parce qu’il est représentatif du clan opposé. Beaucoup ont préféré émigrer et s’établir même à l’étranger en modifiant leur nom afin d’éviter cette éventualité et c’est dans ce sens que la vendetta a créé bon nombre de sujétions et de soucis aux familles respectives. Parfois dans un souci d’apaisement celles-ci ont décidé d’arranger un mariage entre des membres des clans respectifs et tenté l’oubli mais sans que le résultat soit garanti.
Il y a une règle à méditer tout de même : la vendetta ne distingue ni vainqueurs, ni vaincus car le bourreau devient la victime à un moment inattendu !
Pour le visiteur étranger ces histoires ne remettent pas en cause l’accueil des Crétois. Il faut néanmoins chercher à connaître les coutumes et les traditions pour éviter des impairs. En ce qui me concerne voulant faire un cadeau à un hôte qui nous invitait à un festin, je décide de lui offrir un canif français parce qu’en France ce type de cadeau est synonyme d’amitié. Bien mal m’en a pris car l’hôte ne fut pas du tout content ! En Crète on donne un couteau pour signifier un début d’hostilités !
(Les informations ont été extraites du livre d’Aris Tsantiropoulos, la vendetta dans la Crète montagneuse centrale, éditions Plethron, 2004, 319p)
Texte de JP Gandelin