Ce dieu grec semble omniprésent dans la culture grecque et la nôtre. Il apparaît souvent sur les devantures des restaurants. Est-ce justifié ?
Parler de ce dieu c’est immanquablement évoquer le vin qui est un élément culturel essentiel de la société grecque. Au Proche Orient à l’époque du néolithique il était déjà connu dès le sixième millénaire av. J.C. Il était plutôt rouge. Il en est fait mention sur des tombes datées de 3000 av. J.C. notamment en Egypte où des scènes de techniques viticoles furent trouvées. Les grecs qui ont le génie du commerce et la maîtrise de la mer diffusent le vin, le blé, l’olive dans tout le bassin méditerranéen. Le vin fut immédiatement apprécié par les gaulois et les celtes mais eux burent du vin pur, du vrai vin qui secoue car à l’époque le degré alcoolique pouvait être assez élevé. Rien n’a changé d’ailleurs aujourd’hui lorsque l’on regarde les étiquettes de nos vins du sud !
Dans l’Antiquité aux VI° et V° siècles av. J.C., le vin est une boisson habituelle dans le cérémonial religieux notamment lors des grandes fêtes comme les Théoxénies (invitation du dieu célébré à la table des convives), les Anthestéries (fêtes des fleurs de printemps), les Grandes Dionysies (fêtes de Dionysos) toutes deux célébrées au printemps. Il est offert coupé d’eau aux dieux que l’on vénère et on utilise des coupes ou phiales ou cratères décorés dont la forme s’adapte à la cérémonie. Chez les grecs Il était mélangé à l’eau et parfois à des épices, du miel, de la résine. Il est bu lors des banquets qui suivaient l’office religieux favorisant les échanges et la convivialité. Mais il était tout particulièrement apprécié par les vieux qui avaient le droit d’en abuser. Ils retrouvaient ainsi les effets euphorisants de l’alcool, le rire, la danse, les chants, les effets anesthésiants aussi puisque les douleurs de la vieillesse s’estompaient et ils imaginaient retrouver leur jeunesse et leurs sentiments amoureux, le temps que les vapeurs de l’ivresse s’estompent. On allait même croire qu’après la mort, un banquet sans fin parsemé d’émotions extraordinaires les attendrait.
On remarquait ainsi que l’ivresse transformait le comportement de l’homme et que ce dernier semblait comme possédé par une force extérieure, une espèce de transe où il était impossible de se maîtriser comme si une force divine s’emparait de l’individu. Cette force c’était celle de Dionysos.
Le mythe de Dionysos explique que ce dieu est issu de l’accouplement de Zeus et de Sémélé ou de Déméter suivant les versions. Héra la femme en titre de Zeus un peu jalouse et on la comprend, essaya de persuader Sémélé enceinte que son mari ne l’aimait pas. Alors Sémélé exigea une preuve d’amour. Zeus lui montra ce qu’il en pensait en déclenchant un orage terrible si bien que Sémélé périt dans un incendie mais son enfant fut protégé des flammes par la végétation qui comportait beaucoup de lierre. Zeus sauve le fœtus et le greffa dans sa cuisse le temps de sa gestation. Devenu adulte il est entouré de nymphes, de ménades, de satyres qui l’élèvent et le protègent. Homère raconte aussi sa légende au sixième chant de l’Iliade. Il y relate la fuite de Dionysos devant Lycourgos, dieu thrace qui cherche à le tuer. Dionysos est contraint de se jeter dans la mer pour lui échapper. Au fond de l’eau, Thétis le protège. Dionysos ressort de la mer au printemps
Le mythe prend naissance donc en Thrace et se diffuse ensuite dans toute la Grèce où son histoire sera adaptée dans chaque région comme à Chios et Naxos. Mais d’emblée il est associé au cycle de la culture de la vigne jusqu’à la production du vin. On traduit ainsi la présence du dieu avec le printemps par la fécondation des plantes et la germination en terre qui portera la vigne, puis les mois de gestation des grappes de raisins qui seront brûlées par le soleil mais protégées par les feuilles de vigne, puis la coupe des grappes lors des vendanges et leur transfert dans des cuves, l’apparition quasi magique de la fermentation et la transformation du jus de raisin en vin aux propriétés si excitantes sur le corps des hommes correspondant à la deuxième naissance du dieu sortant de la cuisse de Zeus.
Ainsi chaque fois que l’on vénère Dionysos, l’ivresse, la danse, la transe sont des rituels associés. Sur un vase daté de 500 av. J.C. on observe un participant à un symposium qui vomit. Sur une amphore tyrrhénienne datée de 560 av. J.C. des scènes sexuelles sont représentées. Mais sans aller jusque-là, les fêtes de Dionysos avait au moins le mérite d’enjouer l’assistance et de conforter la cohésion de groupe.
Une grande partie des informations relatives à Dionysos ont été extraites du mobilier et des ustensiles liturgiques retrouvés dans les tombes et les temples. Très souvent les motifs des dessins et peintures sur les céramiques représentent des personnages qui tiennent une coupe et parmi eux Dionysos. Les personnages couronnés de lierre ou de feuilles de vigne, les boucs, les femmes musiciennes font partie de l’iconographie dionysiaque.
D’autres expressions artistiques ont concouru à la fixation du mythe de Dionysos. Ainsi il est mis en scène au théâtre avec Euripide dans sa pièce, les Bacchanales, présentée en 405 av. J.C., où l’on voit des jeunes femmes dansant et buvant jusqu’à se sentir possédées par le dieu. Le scénario propose ensuite une montée en tension, les femmes devenant de plus en plus agressives. Tout en hurlant, elles décident de tuer des animaux et leurs propres enfants. La littérature, la sculpture, la peinture, la religion orphique seront des domaines où Dionysos sera représenté comme un des dieux les plus importants de la culture grecque. Mais le théâtre et la sculpture avec Praxitèle vers 360 av. J.C. avaient été à l’origine d’une évolution de l’image de Dionysos. D’un dieu au physique bien trempé auparavant, son aspect devint celui d’un adolescent adorable plus féminin que viril mais d’une grande beauté capable d’une séduction irrésistible auprès du public féminin d’autant plus que le vin était aussi consommé par les femmes qui profitaient des fêtes pour s’exprimer plus librement et plus bruyamment. Un peu plus tard, son culte devient plus extatique et mystique en raison de l’imagination de certains auteurs après les conquêtes d’Alexandre le Grand. La présence d’Alexandre jusqu’au fleuve Indus encouragea ses fidèles à le comparer à Dionysos, dieu qui avait selon eux soumis l’Inde et qui avait des pouvoirs extraordinaires.
Plus tard encore, le culte à mystères puis le christianisme reprennent le vin dans leurs rituels. Jésus évoque souvent le vin dans ses prêches et transforme l’eau en vin le jour des noces de Cana. Lors de son dernier repas il indique que son sang est l’élément qui permet d’être en communication avec celui qui le boit. La représentation du sang du Christ mentionné dans l’Evangile devient l’élément nécessaire pour la célébration de la messe et dans les repas partagés entre chrétiens. Jésus dit : « Je suis le cep, vous êtes les sarments. » On fabriqua des cercueils munis d’orifices afin de pouvoir verser du vin à l’intérieur pour le défunt. Augustin en parle au IV° siècle ap. J.C. Mais les Pères de l’Eglise lors des premiers siècles après J.C. condamnèrent cette tradition qui relevait pour eux du paganisme. Les fêtes et les beuveries parfois indécentes furent condamnées également par l’Eglise et elle créa en remplacement de ces dernières des fêtes chrétiennes plus sages comme Noël. Le prix élevé du bon vin provoqua également une baisse de consommation de cet alcool et le rapport qualité/prix de la bière devint plus favorable si bien que la population gauloise préféra la bière. Décidément là aussi les siècles passent mais nous en sommes là aujourd’hui !
Les romains ne se firent pas prier pour pérenniser le culte de Dionysos, qu’ils appelèrent Bacchus. Ils organisèrent d’autres fêtes qui devinrent même orgiastiques. Ils le transmirent à leur tour dans leur culture. Des cercueils furent décorés de scènes où Dionysos était ni plus ni moins qu’un dieu indien.
Aujourd’hui il est possible de retrouver cette ambiance dionysiaque dans les carnavals grecs qui se déroulent juste avant le printemps. En regardant les décors, les chars, les phallus exhibés par les femmes nombreuses à participer et très libres dans leur expression, nul doute que le dieu est bien là et encore capable de les posséder. Tiens je suis dans un bar bordant le défilé et je me rends compte qu’il se nomme Dionysos tout en buvant mon raki et une douce chaleur m’envahit à l’instant comme si une présence surnaturelle se manifestait. Je crois que je vais en commander un autre !
Texte de JP Gandelin
